Festivals photo: la fin des boys club ?

On peine à croire qu’en 2019 de violentes oppositions surgissent dans des milieux qui se pensent progressistes dès qu’on évoque une plus juste répartition de l’argent public. Et pourtant, c’est bien ce à quoi nous avons assisté ce printemps. Au programme : mensonges, insultes et tentatives d’intimidation.

#LaPartDesFemmes est un collectif de professionnelles de la photographie qui demande que l’argent public soit équitablement réparti pour rendre compte de la création photographique contemporaine à travers une pluralité des regards et des représentations.

Nos méthodes sont simples – et non-violentes, s’il était nécessaire de le préciser : nous comptons le nombre d’hommes et de femmes exposé·es dans les festivals/institutions/prix et nous en rendons compte sur notre page Facebook. Les chiffres ne disent pas tout, aussi nous analysons la communication et les choix d’expositions. Nous avons toujours des échanges sur le sujet avec les directeur·ices concerné·es au préalable, et veillons à donner des éléments fiables et sourcés à nos lecteur·ices.

Dès le mois de septembre dernier, le collectif #LaPartdesFemmes, soutenu par de nombreux·ses professionnel·les, avait interpellé Sam Stourdzé, directeur des Rencontres d’Arles, sur la faible représentation des photographes femmes depuis 50 ans. Les progrès accomplis sont réels puisque pour la prochaine édition, 46,88% des expositions individuelles présenteront des travaux de femmes. Si la mixité attendue est au rendez-vous, nous espérons une plus grande pluralité des origines des artistes dès 2020.

Qui pourrait contester la légitimité, le bien-fondé de notre objectif  ? On peine à croire qu’en 2019 de violentes oppositions surgissent dans des milieux qui se pensent progressistes. Et pourtant, c’est bien ce à quoi nous avons assisté ce printemps. Au programme : mensonges, insultes et tentatives d’intimidation.

“UN DOSSIER DE MERDE 
RESTE UN DOSSIER DE MERDE”

Jean-François Leroy – 2019 

Début mars 2019, un débat organisé par Mediapart sur l’invisibilité des femmes photographes réunissait Jean-François Leroy, directeur du festival de photo journalisme Visa pour l’image, et Marie Docher, photographe et membre de notre collectif. Invoquant le « talent » et la « pertinence des sujets » pour justifier, d’emblée, qu’il n’y avait pas motif à débat et qu’il ne changerait rien à sa façon de faire, l’unique décideur de Visa depuis 30 ans a également pointé la “neutralité” des dossiers arrivant sur son serveur, alors que chaque fichier doit comporter les prénom et nom des candidat·es ainsi que leur portrait. Mensonge ou déni ? On n’en saura rien. Dans un débat sur les femmes photographes il a tenu à deux reprises à préciser qu’un “dossier de merde reste un dossier de merde”. Cette citation reprise par ses supporteurs et les commentaires qui s’en sont suivis nous ont ouvert une fenêtre sur le sexisme décomplexé de certains de nos confrères. Sollicité par la suite sur les réseaux sociaux, J-F Leroy a confirmé qu’il « regardait les dossiers photo à l’aveugle ». Sic. 

“LES MEILLEURS SUJETS FEMINISTES 
SONT FAITS PAR DES HOMMES” 
Gilles Favier 2018

En avril, c’est la programmation du festival Images Singulières, à Sète, qui a retenu notre attention. Son directeur artistique Gilles Favier, affirme à l’instar de son collègue de Perpignan ne regarder que le talent et la pertinence des sujets. Il avance aussi l’argument qu’il ne peut pas changer les choses puisque seules 10% des candidatures déposées sur son serveur sont féminines. Comme J.-F. Leroy, qui cite lui le chiffre de 27%, il s’en afflige, mais aucun des deux ne pousse plus avant la réflexion. Nous lui avons proposé notre aide pour faire bouger les lignes, mais il a décliné notre offre et nous a renvoyé.es vers la direction de l’association Cétavoir, accessoirement occupée par sa compagne. C’est regrettable : nous disposons pourtant de nombreuses pistes de travail. Nous avons par ailleurs retrouvé un entretien enregistré datant de 2018 lors duquel Gilles Favier expliquait à son interlocutrice, sans sourciller, que les photographes femmes étaient peu nombreuses et se tiraient dans les pattes, et que les meilleurs sujets féministes étaient faits par des hommes. Sic bis.
Les résultats sont là, sans surprise aucune. Expositions individuelles :  3 femmes et 8 hommes, projections de films : 7 hommes, échanges-agora : 1 femme et 6 hommes. Adriana Lestido qui travaille sur les violences faites aux femmes en Argentine est soudainement passée de photographe à “passionaria féministe”. Aucun poncif n’est épargné.

“UN VRAI DÉBAT À LA CON 
ASEPTISÉ DE TOUT BON SENS” 

En mai… fais ce qu’il te plaît ? Le directeur artistique de MAP Toulouse, Ulrich Lebeuf, a déjà été interpellé à plusieurs reprises sur ses choix. Mais comme ses deux confrères, il campe sur ses positions. Cette année, il n’a pas apprécié qu’on lui rappelle une fois de plus qu’il participait à un système de discrimination : sur 11 expositions monographiques, seulement 3 femmes sont exposées. 

« Alors là c’est un vrai débat à la con aseptisé de tout bon sens artistique » écrivait-il en 2018 sur les réseaux sociaux à propos de la faible visibilité des femmes photographes. Des photographes avaient argumenté, proposé des contenus à lire ou à écouter. Las : le directeur s’était mis en colère, refusant de s’informer davantage, puisqu’il détenait la clef : le talent, encore et toujours et la “croyance à la prise de conscience naturelle des choses”. Et qu’importe si la majorité de ceux qui en ont lui ressemblent. 

Nous sommes de plus en plus nombreu·ses à poursuivre un même objectif et les informations circulent plus vite. C’est ainsi qu’un autre point problématique a été porté à notre connaissance si ce n’est un conflit d’intérêt : depuis au moins 3 ans, les photographes de l’agence MYOP représentent 15 % des exposé·es du MAP. Or Ulrich Lebeuf, par ailleurs photographe, est membre de cette même agence. Certes, on est loin d’une OPA. Néanmoins, ce faisant, le directeur artistique gonfle — de manière toute relative — le nombre de femmes photographes dans son festival, deux d’entre elles faisant partie de son agence. Il cultive ainsi une autre forme d’entre-soi, ce que nous avons entrepris de pointer.

Contrarié par notre initiative, Ulrich Lebeuf a passé des coups de fils agressifs à des professionnel·les de la photographie ayant « liké » notre post. Il a ensuite contre-attaqué sur les réseaux sociaux, remerciant en ces termes la délégation à la photographie du Ministère de la culture et la DRAC Occitanie de leur soutien financier :  « Concrètement c’est un soutien aux 20 photographes féminins et 20 photographes masculins qui participent à cette 11ème édition ». Scoop ! Bien que nous ne sachions pas ce qu’est un photographe “féminin”, nous devinons et nous empressons de publier nos comptes sous sa publication : 3 femmes invitées pour 8 hommes. Aucune réaction. 

Comment expliquer ce tour de passe-passe ? Il se trouve que le MAP présente une exposition de photographes amateurs qui prennent des cours à l’Espace Saint-Cyprien. L’événement est annoncé mais aucun nom n’est donné. Pour celui qui reprochait publiquement aux premiers organisateurs du MAP d’exposer des « amateurs », il n’y a aucune gêne à les invisibiliser puis à les invoquer comme caution. Perçoivent-ils d’ailleurs des droits de monstration ? Après vérification on ne trouve toujours pas cette parité évoquée. L’exposition de l’espace Saint Cyprien compte 10 femmes, 6 hommes et 1 personne “indéterminée”. Il est intéressant de noter que ces chiffres reflètent ceux des écoles d’art et/ou photo

Pourquoi, par ailleurs, remercie-t-il seulement deux financeurs en leur fournissant cette information falsifiée ? C’est simple : le ministère de la Culture et les établissements culturels publics qui en dépendent sont engagés dans une démarche de certification AFNOR égalité et diversité. L’objectif est donc de justifier ses choix pour continuer à bénéficier de leur manne.

Mais il ne s’arrête pas là. Le voici qui partage sur Facebook une publication composée d’extraits du travail de photographes invité·es à MAP. Son commentaire : « Le Festival MAP Toulouse dans Technikart avec l’immense Peter Knapp qui a tant œuvré dans les années 60 avec le magazine Elle pour l’émancipation de la femme ». Ulrich Lebeuf pense encore, comme nombre de ses collègues photographes, que « La Femme »  fait vendre sur une affiche, comme le démontrent les visuels choisis pour la communication. Mieux, il estime que les hommes ont favorisé l’émancipation des femmes en imposant leur regard d’hommes sur des corps dénudés à des fins commerciales.

lebeuf technikart

On le voit, ces trois directeurs ont des points communs. En premier lieu, ils n’ont aucune conscience de leurs responsabilités sociétales et attaquent, insultent, mentent et dissimulent dès qu’on les met face à celles-ci, plutôt que de se remettre en question et engager un dialogue avec les principales concernées. Ensuite, ils mobilisent les mêmes arguments éculés sans jamais questionner les causes de la surreprésentation des hommes occidentaux dans leurs festivals. Parallèlement, on peine à dénicher le moindre texte signé de leur nom sur leur conception de la photographie, les travaux qu’ils présentent, leur ligne artistique. Rien. Leur pensée quant à la photographie, son histoire, ses enjeux, ses orientations contemporaines nous échappe. Certes, un J.-F. Leroy s’exprime plus qu’à son tour sur sa vision du photojournalisme, mais force est de reconnaître que celle-ci accumule les poncifs en ignorant superbement les études et analyses critiques produites sur le sujet ces dernières années.

Ce sont pourtant eux qui décident unilatéralement
de qui a du talent et qui n’en a pas.

Quelle est la légitimité de ceux supposés « légitimer » notre travail ? Alors que les institutions culturelles publiques changent  — plus ou moins — régulièrement de tête, eux ont trouvé le moyen d’être quasi indéboulonnables tout en percevant de l’argent public.

Concerts, soirées, buvettes, pourquoi pas si ces “animations” permettent d’attirer un large public ? Mais on peut s’interroger sur la mission de ces festivals. S’ils se posent en grands défenseurs de la photographie et captent des financements publics, ils ne proposent pas une vision plurielle de la création photographique tant en matière de genre que d’origines des auteur·es et semblent bien incapables définir des lignes ou des intentions artistiques au-delà du divertissement et de l’entre-soi satisfait.

Il est temps que les financements soient conditionnés par des projets étayés, nourris, des programmations plus ouvertes. La photographie, les photographes et les publics s’en porteront mieux. 

Favier_Docher 2019 © Docher
Lebeuf, parité inventée © Docher
Favier_Docher 2018 - Vrai débat à la con © docher

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