« On demande aux hommes d’utiliser leur pouvoir, leurs privilèges, à bon escient : en poliçant les autres membres masculins de leur entourage, par exemple, pas en expliquant aux femmes comment mener leur combat. On demande aux hommes de rester à leur place. Non, en fait, on exige d’eux qu’ils apprennent à en prendre moins. Ils n’ont pas le premier rôle et il va falloir s’y faire. »
Pauline Harmange, Moi les hommes, je les déteste, édité par Coline Pierré et Martin Page aux éditions Monstrograph (août 2020), réédition au Seuil (octobre 2020).
Utiliser leur pouvoir à bon escient, rester à leur place, prendre moins de place…autant de chemins proposés sans trop d’espoir par Pauline Harmange aux hommes qui se voudraient les alliés des féministes, et que les journalistes dépêchés par Libération pour réaliser le portrait de l’autrice de « Moi les hommes je les déteste » , ne se sont pas vraiment empressés d’emprunter.
Ramer à contre sens encore
et encore.
Cette « der » de Libé, on s’y plonge en effet après avoir découvert un post facebook de l’éditrice du dit livre, Coline Pierré, qui raconte sa disparition de l’article de Libération alors qu’elle avait été interrogée au même titre que Martin Page, coéditeur dont le nom est lui bel et bien présent. Elle n’est pas contente et on la comprend et on la soutient. Invisibiliser les femmes, se voir être mise sur le côté, encore et toujours, ne plus avoir confiance en la gente masculine, tout ça ne serait pas quasi comique si ça n’était pas en grande partie le sujet du livre et le vécu d’une moitié de l’humanité…
On se livre à tout un tas de questions, d’autant qu’on a lu le livre et que ce livre on l’a aimé, on a envie de le partager tant son propos est intelligent, tant les mots de son autrice nous ont rendu plus fortes, encore plus soudées, plus armées. Et que pour la première fois depuis quelques temps, on a lu un texte tout simplement réjouissant. Interrogé sur cette disparition par Marie Docher, le rédacteur a répondu en toute simplicité via tweeter : « par manque de place ! ça arrive souvent qu’on ne puisse pas citer tous les gens qu’on interroge, cordialement ».
Voilà, une femme qui disparait, faute de place ou d’autre chose, on a l’habitude, parfois elles ne sont pas disponibles, souvent, on ne les a pas trouvées, ou bien elles ne voulaient pas.
Mais laissons là Quentin Girard dont la réflexion se résume à cette phrase qu’il nous livre dans son texte : « Il suffit de prendre un verre avec une copine un peu engagée pour se voir rappeler que nous sommes tous bêtes et décevants ». Et revenons à l’autrice et à son livre : « Tout le temps qu’ils passent à pleurnicher sur leur sort de pauvres mecs persécutés, ils esquivent habilement leur devoir : celui d’être un peu moins des purs produits du patriarcat. »
Zéro empathie
« J’ai rien contre les hommes », « moi j’aime les hommes », « je ne les déteste pas », toutes ces phrases soi-disant rassurantes que l’on peut entendre au détour de conversations, Pauline Harmange ne les prononcera pas. Car elle ne voit pas de raison d’aimer les hommes, ni de leur faire confiance, ni de leur accorder du crédit ou de l’importance. Elle est misandre, elle l’assume et le défend.
Son texte est simple et sans aigreur. La proposition est la suivante : regardons et consacrons notre temps à la moitié de l’humanité qui nous réjouit, et occupons-nous le moins possible de l’autre moitié qui nous empêche. « Nous sommes misandres dans notre coin. Quand nous détestons les hommes, au mieux nous continuons de les tolérer avec froideur, parce qu’ils sont partout et qu’il faut bien faire avec (incroyable mais vrai : on peut détester quelqu’un sans avoir une envie irrépressible de le tuer). Au pire nous cessons de les inviter dans nos vies – ou alors avec une sélection drastique au préalable. Notre misandrie fait peur aux hommes, parce qu’elle est le signe qu’ils vont devoir commencer à mériter notre attention. » Le livre est assez simple pour être compris de toutes et de tous, assez court pour être lu en moins d’une heure, assez prenant pour être dévoré d’une traite.
Revenons à Libération, et résumons la situation : une autrice de 25 ans sort son 1er livre, un essai féministe et misandre qui rencontre un succès auquel elle ne s’attendait pas. Son livre est réédité un mois et demi après car la première édition est déjà épuisé.
A l’occasion de cette réédition, la rédaction de Libération décide de consacrer la der à l’autrice. Elle envoie Quentin Girard et Stéphane Dubromel, un rédacteur et un photographe, deux hommes qui à l’usage, on va le voir, n’ont aucune réflexion sur ce sujet. Il faut dire que c’est rare un livre misandre dans un univers misogyne, on n’ a pas l’habitude. Alors Libé envoie ses troupes : des hommes. Pour les photographes, nous sommes habitué·es, les femmes sont rares et puis c’est la crise hein, faut être solidaire. Mais quoi ? Aucune femme journaliste un peu spécialisée des questions féministes ne se serait manifestée dans ce journal de gauche pour un sujet si actuel et chaud bouillant ? Non pas qu’un homme ne soit pas capable de s’en emparer mais là, c’était quand même casse-gueule, voire agressif quand on sait qu’il s’agit d’interroger une femme qui, elle, a parfaitement analysé les codes de l’objectivation.
« Le moins que puisse faire un homme face à des femmes au discours misandre, c’est de se taire et d’écouter. Il apprendrait plein de choses et il en ressortirait grandi. »
Pauline Harmange
Mais femme dans le regard masculin tu es, et femme dans le regard masculin tu resteras. Et bim ! le moindre effort on ne le fera pas, écouter et se taire ça veut dire quoi ? Une femme dans mon regard tu es et tu resteras ! Voilà ce que semble en substance répondre à Pauline Harmange la photo prise par Stéphane Dubromel et surtout choisie par le service photo : point de vue plongeant et clairement dominant, les poils des aisselles qui deviennent quasiment le sujet de l’image, ça transpire le male gaze. Pauline Harmange a elle-même déploré ce choix via son compte instagram. Nous comprenons sa colère et elle a tout notre soutien. Marie Docher a interrogé pour LaPartDesFemmes la rédaction de Libération et la rédaction est restée silencieuse. Ce n’est en tous cas pas la première fois que notre collectif interpelle Lionel Charrier, responsable du service photo, et sa rédaction pour les alerter à propos du sexisme et de la misogynie de certains contenus du journal.
Le photographe avait fourni d’autres clichés. Malgré le point de vue dominant, il y avait une certaine esthétique dans cette photo qui rend compte de la force de ce corps assumé, de ses muscles, de sa pilosité. Le regard de Pauline Harmange est fort et elle explose le cadre. On imagine que cette image puisse être publiée dans des magazines photos qui explorent les représentations des corps pensés comme minoritaires, mais nous sommes ici dans un quotidien national.
Libé a illustré par ses choix éditoriaux les ressorts de la misandrie.
Le titre « Moi les hommes, je les déteste », est suffisamment fort pour affoler plus de la moitié de l’humanité fragile qui est en train de s’effondrer et de se répandre avec violence sur les réseaux sociaux. Prendre la décision, dans ce contexte, de publier cette photo qui centre sur sa pilosité, c’est jeter Pauline Harmange dans la fosse aux lions. Et c’est ce qui se passe. Le sujet a été son corps, ses poils et ses muscles mais en aucun cas son propos ou sa personne. Le retour de bâton est violent.
Libé reconduit ce que la rédaction se proposait pourtant de discuter dans cet entretien : elle invisibilise l’éditrice et détourne le fond du propos en focalisant l’attention sur le corps de l’autrice dans l’image. Elle confirme le regard hégémonique porté sur les femmes dénoncé dans le livre et passe à côté de sa proposition constructive : écouter ce que les femmes disent et s’en nourrir.
Quant à nous, nous allons retourner à nos affaires, suivant les mots de Pauline Harmange : « Quand ils s’indignent de nos réunions féministes en non-mixité, ce qu’ils nous reprochent vraiment, c’est de nous regrouper en un corps politique où ils n’ont pas voix au chapitre. Ce n’est en effet pas tant qu’on se rassemble entre femmes qui les choque : quand ce sont des clubs de tricot, des associations de mères ou des réunions Tupperware, rien ne pourrait moins les intéresser. Ce qu’ils ne supportent pas, ce qui les effraie même, c’est qu’on s’organise, qu’on s’assemble et qu’on forme une masse politique d’où émergent des idées et des plans d’action. Et qu’on ne leur accorde aucune importance.
Lee Gantier pour LaPartDesFemmes
« Nous ne déclarons pas une guerre des sexes, nous tentons d’y mettre fin. »
LaPartDesFemmes
Moi qui suis contre toute forme de haine, de mépris et par-dessus tout de violence, je dois dire que le genre humain (tant masculin que féminin lorsqu’il se présente misogyne ou misandre) me désespère franchement. Quelle tristesse d’en être arrivé à ce que certains et certaines ne se supportent plus. Ce mépris (et les vexations qui vont avec) que l’on ressent de la part de ces grands médias, je le comprends très bien (j’imagine qu’on a été nombreux.euses à le souffrir). Malgré le fait que je sois un homme, je l’ai vécu et je le vis encore moi aussi.
Dans le cadre de mon activité professionnelle, la part des femmes à qui je transmets volontiers mon savoir-faire en argentique est largement majoritaire. Je m’inquiète toujours lorsqu’elles me font part de leur souhait d’intégrer une école pour devenir professionnelles, non par « ‘patriarcat », ni par condescendance et encore moins par la peur d’une quelconque concurrence, mais bien parce que je connais la violence des rapports qui les attend au sortir de leur cursus d’apprentissage (et que personne ne mérite). Le problème n’est pas dans le genre, le problème c’est que les gros cn*s et par extensions les grosses c*nnes qui ont pris le pouvoir depuis trop longtemps et pourrissent la vie de tous les autres dans l’espoir de les étouffer parce que c’est le seul moyen qu’ils ont trouvé pour rester accrochés à leurs privilèges. Je plaide pour un monde meilleur sans haine ni violence où chacun aurait sa place. Affectueusement (sans ironie ni cynisme).